Issa Ibn Battuta, directeur de zone pour Nomade Aventure et ambassadeur Akammak, revient pour vous sur son expédition en Sibérie en 2015.
En deux mots, je suis un concepteur de voyages d’aventure et citadin par obligation, j’aime la nature et les autres cultures. Au quotidien je passe pas mal de temps dans les bureaux de Nomade Aventure, pour préparer et concevoir des voyages, et en toute honnêteté je n’aime pas l’agitation de la ville.
En 2015, lorsque mon ami Pavel d’Irkoutsk en Russie m’a proposé de participer à la première expédition test sur la banquise du Baïkal, je n’ai pas hésité une seule seconde. Aller en Sibérie a toujours été l’un de mes rêves les plus fous et aller en Sibérie en hiver est encore plus excitant !
Les images des goulags de Sibérie m‘ont traversé l’esprit et j’ai repensé au film « Les chemins de la liberté » de Peter Weir, au documentaire de Nicolas Vanier « L’Odyssée sauvage ». Un flot de souvenirs m’a envahi avec des images vivantes, vibrantes, dans une sorte de frisson intérieur. Il n’y avait plus de place à l’hésitation, j’ai préparé mon sac avec tout l’équipement pour le grand froid et j’ai couru acheter le bouquin de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie ». Pour l’équipement, j’ai pris les vêtements grand froid, les premières couches techniques thermorégulatrices de chez mes amis d’Akammak, des chaussures de trek imperméables, des chaussettes en laine adaptée et surtout des gants et moufles de haute montagne, la totale.
L’univers du désert je le connais bien pour l’avoir si souvent écumé, et mon enthousiasme pour cette expédition venait de l’inconnu, la nouveauté, le territoire vierge d’expérience, un vieux rêve d’enfance. Je n’avais jamais pénétré les vastes étendues de glace au cours de ma vie de globetrotter, ni marché sur une vraie banquise, toute blanche et bien vivante sous les pieds.
A l’arrivée à Irkoutsk une sensation inexplicable me prend : le froid me pique le nez, les poumons, les os très profondément. À ce moment, je regarde la température sur mon téléphone: -22°C. C’est comme si je regardais un documentaire télé sur National Geographic ! Il y avait un coté irréel, j’étais là sans être là.
Pour nous rendre sur la banquise du Baïkal, il fallait prendre un minibus. Nous étions 12 aventuriers du froid venus de France, d’Allemagne et de Russie. Excité par la joie et bavard par nature, je me suis tout suite fait de nouveaux amis. Nous avions une chose en commun : l’envie d’en découdre avec l’aventure, explorer des endroits insolites, que peu de personnes ont pu parcourir, comme de rares privilégiés attirés par l’inconnu.
Avec nous, 2 guides russes, Pavel et Dmiri, ils nous ont exposé les traditions et coutumes locales des habitants de la Sibérie. Ils nous ont fait découvrir des totems chamaniques et une grotte sacrée envahie de stalagmites de glace comme des colonnes de temple. Puis nous avons traversé la banquise en minibus, roulant sur la glace, pour moi c’était dingue. La piste sur la glace que nous suivions était balisée avec des ficelles et de vrais panneaux de signalisation, alors que l’on roulait sur l’eau !
Au fur et à mesure que nous progressions, la glace s’épaississait considérablement, la température baissait et les paysages devenaient époustouflants de brillance et de luminosité. Tout est devenu polaire et s’est transformé en glace. On pouvait distinguer les vagues du Baïkal qui se dressaient vers le ciel comme figées et piégées par le gel. Tout : les arbres, l’herbe et la roche sont devenus cristallins, presque translucides, les bateaux faisaient partie de ce décor féerique emprisonnés dans la glace pour tout l’hiver, c’est un peu les vacances pour eux!
Pour le trek, la traversée du lac, j’avais une pulka attachée à la ceinture que je tirai derrière moi avec toutes mes affaires, une partie de la nourriture du groupe, une tente et des thermos remplis d’eau chaude. Il était impossible d’utiliser des gourdes à des températures pareilles l’eau gèlerait, d’où le recours à des thermos. Le soir, j’aidais Pavel et Dmiri dans l’installation du camp pour la nuit : tentes, matelas et surtout j’adorais car j étais en charge de casser et chauffer la glace pour avoir de l’eau pour le repas du groupe.
Pendant l’expédition il y a eu des moments de délires et de franches rigolades entre les membres de l’équipe malgré le froid intense et piquant et un vent cinglant. On se mettait à plat ventre sur une tuile de glace et on se laissait glisser sur la banquise tels des pingouins, riant comme des enfants.
Les couleurs des « toros » (immenses morceaux de glace) sous les rayons du coucher de soleil en feu étaient juste psychédéliques et le vent polaire impitoyablement fort nous brulait le visage. Dans ce genre d’endroit, il faut bien se protéger du froid, du vent, de l’humidité et de la forte intensité de la lumière. Contre le froid et l’humidité, on peut dire que j’étais bien préparé avec des vêtements thermorégulateurs Akammak de grande qualité.
Les nuits sous les tentes, posées à même la glace, étaient particulièrement froides. Je dormais emmitouflé dans un bon duvet qui tient jusqu’à -40°de chez « Lestra ». Je gardais sur moi mon caleçon et mon maillot en tissu ColdWinner, et à aucun moment je n’ai eu froid. Nous étions sept sous la même tente on se tenait chaud tous collés les uns contre les autres pour conserver un cocon de chaleur. Mais la nuit, la banquise est comme vivante et on l’entendait craquer et rugir sous nos têtes comme un dragon. Nous chevauchions le dragon durant notre sommeil, merveilleux délire.
Sous nos crampons, la glace était si sombre et si claire, sensation difficile à expliquer, laissant deviner son épaisseur. Le soleil jonglait à travers toutes les fissures et les bulles d’air emprisonnées. Le spectacle était si beau, ému je restais ainsi prostré quelques minutes à contempler. C’est en ces moments inoubliables que je mesure ma chance de pouvoir vivre ces expériences grâce à mon travail. Ce sont des lieux où pleinement conscient de notre responsabilité d’avoir et de préserver encore des lieux originels, intacts et d’une grande fragilité ! Le seul mot qui me venait à l’esprit pour expliquer ce que je ressentais au Baïkal était : « spirituel ! »
A la fin de notre expédition, après une longue marche d’environ 67 kilomètres, nous sommes arrivés sur l’autre rive du lac, au milieu d’une forêt de bouleaux, traversée par une longue route toute droite où nous avons retrouvé nos véhicules. Nous avons fini dans un petit village bouriate autour d’un vrai plat chaud que nous avons dévoré. Après c’est le dur retour à la réalité des cités perdues de Sibérie, arrivés à Oulan Oudé la capitale de la région, nous avons embarqué pour la nuit à bord du transsibérien pour revenir à Irkoutsk. Cela résume quelques jours de ma vie de producteur de voyage et de baroudeur et surtout une magnifique expérience.
Issa Smatti est directeur de zone et producteur de voyages à Nomade Aventure. Spécialiste de l’Asie Centrale et de l’Himalaya, ses expériences sont aussi variées que nombreuses. Il met ces expériences au profit des voyageurs en quête d’idée et de conseils d’évasion.
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